Dans cette interview sans détour, Christian Rapha, maire de Saint-Pierre, partage son analyse sur la situation socio-économique et politique en Martinique. Pour lui, la crise de la vie chère n’est que la partie émergée d’un iceberg plus vaste, qui menace les fondements même de notre société martiniquaise. Il considère que ce mouvement de révolte citoyenne est le résultat d’une faillite politique collective et pointe du doigt la nécessité de revoir non seulement le modèle économique mais aussi le modèle sociétal et politique de l’île. Plus qu’un simple diagnostic, il appelle à une véritable révolution des mentalités et des pratiques. Face à l’urgence, Christian Rapha se pose en défenseur d’une collaboration transpartisane sur les sujets fondamentaux, indispensable pour sortir la Martinique de l’impasse actuelle.
Vous avez évoqué la pauvreté à Saint-Pierre, mais aussi au niveau de la Martinique. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’ampleur de cette situation, et comment vous y faites face dans votre commune ?
À Saint-Pierre, selon les données de la CAF, près de 43 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, taux supérieur de10 à la moyenne martiniquaise ! Nous faisons face à une misère quotidienne, souvent invisible mais très présente. Avec les moyens limités dont nous disposons, notamment un CCAS sous-dimensionné, nous essayons, avec l’aide d’organismes tels que la Croix Rouge, le Secours catholique, les Petits Frères des Pauvres, les Clubs services, de répondre aux besoins immédiats des familles. Mais cette situation n’est pas propre à Saint-Pierre, elle concerne toute la Martinique. Pour y faire face, des solutions structurelles à long terme sont indispensables, mais elles nécessitent le soutien de toutes les institutions.
La vie chère est aussi un sujet récurrent. Quelle serait la première mesure que vous préconiseriez pour atténuer son impact en Martinique ?
S’il est impératif de prendre des mesures immédiates à partir de celles qui sont à l’étude comme la révision de la taxation sur l’alimentation et les produits de première nécessité, la mise en place d’aides directes et indirectes au transport, la maîtrise concertée des marges des distributeurs… Au-delà nous devrons nous attaquer aux autres facteurs qui contribuent à la cherté de la vie : les coûts du transport, de l’énergie, de la santé, du logement…
Les familles qui sollicitent les bons alimentaires du CCAS ont été souvent mises en difficulté par les factures d’eau, de loyers ou d’électricité impayés, le coût des transports, de la cantine, de la crèche etc.
Justement, vous parlez souvent de la nécessité de repenser le modèle économique martiniquais. Quelles sont, selon vous, les clés pour le modifier ?
Il est essentiel de soutenir davantage la production locale pour réduire notre dépendance aux importations, qui contribue à l’augmentation des prix. Le modèle économique actuel est obsolète. Il repose trop sur les importations, ce qui nous met à la merci des fluctuations du marché international et des coûts de transports exorbitants.
Comment comprendre que le transport d’un conteneur coûte le même prix, quel que soit le produit transporté, qu’il s’agisse de riz ou de champagne… Ou de dons humanitaires expédiés par une association pierrotine de Nanterre à l’attention du CCAS de Saint-Pierre ? Cette uniformité est absurde et doit être revue.
Pour réduire cette dépendance, il est indispensable de développer notre production locale. Cela passe par un soutien aux producteurs locaux, une meilleure valorisation de leurs produits et un accès facilité aux marchés. Je salue l’initiative récente de mise en place du Comité de défense de la production maraîchère et vivrière de Martinique.
La ville de Saint-Pierre sera partenaire de la CODEM pour la mise en place d’une Association Foncière Pastorale sur son territoire pour contribuer à redynamiser la filière élevage de notre île qui ne produit plus qu’environ 20 % de sa consommation en viande.
Nous devrions dans le même temps nous battre collectivement pour obtenir de pouvoir renforcer les partenariats commerciaux avec notre environnement américain et caribéen dans le but de réduire les coûts d’approvisionnement. L’objectif est de diminuer les coûts de nos importations tout en incitant les Martiniquais à consommer local.
“La Martinique doit prendre en main son avenir au risque d’aggraver dans le futur sa dépendance de décisions prises ailleurs.”
Encourager la consommation locale semble une solution clé. Mais comment la rendre accessible alors que les prix des produits locaux sont parfois plus élevés que ceux des produits importés ?
C’est avant tout une question de pédagogie. Nous devons sensibiliser les consommateurs à l’importance de soutenir les producteurs locaux. Certes, les produits locaux peuvent parfois être plus chers à cause de la faible production ou des coûts élevés des intrants, mais si nous augmentons la demande, nous pouvons atteindre une masse critique qui permettra de réduire ces coûts. Il faut aussi travailler sur les outils d’incitation fiscale et optimiser le nombre des intermédiaires. Trop souvent, le prix final des produits est excessivement majoré par le nombre d’acteurs impliqués dans la chaîne d’approvisionnement. À Saint-Pierre, j’ai déjà tenté de mettre en place un marché direct entre producteurs et consommateurs pour réduire ces coûts. Malheureusement, cela n’a pas encore fonctionné comme je l’espérais, faute d’organisation des professions agricoles du secteur. Mais l’idée reste d’actualité.
Vous avez également mentionné la question de la taxation. En quoi est-ce un obstacle ?
Aujourd’hui, les produits importés subissent des coûts excessifs, notamment en raison de la fiscalité qui s’applique mais surtout des coûts exorbitants de leur transport. Pourquoi ne pas appliquer des mesures de continuité territoriale et tarifs spécifiques à notre réalité de territoire français insulaire, comme c’est le cas pour la Corse ? Pour illustrer la nécessité de remettre en question notre modèle économique appliqué aux importations, je peux citer l’expérience caricaturale vécue en tant qu’ex-dirigeant de laboratoire. Un coffret d’un réactif spécialisé fabriqué aux Etats Unis, transitait et était stocké au siège européen de la société, à Dusseldorf en Allemagne, avant d’être acheminé à Roissy, par la route, puis chargé dans l’avion-cargo pour le Lamentin pour être enfin livré au Lorrain, après avoir été stocké par le distributeur à Fort de France. Le délai de livraison total était de 3 semaines, ce qui m’obligeait à avoir un stock réfrigéré de six semaines de ce produit, en prévention de possibles difficultés sur le circuit de livraison !
Vous parlez aussi de repenser le modèle sociétal. Que voulez-vous dire par là ?
Nous devons changer notre façon de consommer. Je répète que la crise de la vie chère devrait nous amener à revoir nos habitudes, à consommer plus localement et de manière plus responsable. Nous devons développer une véritable culture de la consommation locale. Cela ne se fera pas en un jour, c’est un travail de fond qui passe par l’éducation, notamment auprès des plus jeunes. Ils doivent comprendre que consommer local, c’est soutenir l’économie de notre île et contribuer à son développement durable. Mais ce changement de mentalité ne viendra que si nous mettons en place des structures qui facilitent cet accès aux produits locaux.
“La crise actuelle est, selon moi, le révélateur de la déconnexion de nos pratiques politiques et des attentes des Martiniquais.”
Monsieur Rapha, vous avez récemment parlé de la situation socio-économique en Martinique, notamment de la crise de la vie chère. Vous avez évoqué un échec collectif du monde politique. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là ?
Oui, j’ose parler sans détour d’une faillite collective de nous autres politiques martiniquais. Comment expliquer autrement le choix des leaders du mouvement RPRAC d’écarter délibérément les politiques de tous bords de leur initiative ? Et je n’exclus pas ma propre responsabilité. Il m’a été reproché de ne pas m’exprimer en tant que Maire, en première ligne des souffrances d’une catégorie non négligeable de mes administrés. Nous nous sommes laissés dépasser par la limite de la patience des Martiniquais confrontés à des difficultés économiques et sociales en aggravation. La mobilisation actuelle contre la vie chère n’est qu’un symptôme de problèmes bien plus nombreux et profonds. Ce que j’observe, c’est un manque de réactivité et surtout une incapacité à anticiper les défis auxquels nous sommes confrontés. Trop souvent occupés par les logiques partisanes et calculs électoralistes, nous avons laissé passer des opportunités de réforme et d’action sur les problématiques transversales qui impactent la vie quotidienne des Martiniquais.
Quel changement espérez-vous ?
Cette crise de la vie chère est un signal d’alarme. Même si nous trouvons des solutions à court terme pour un retour à la sérénité, et je pense que ce sera le cas, nous ne pouvons plus continuer comme avant. Devra-t-on attendre qu’après cette mobilisation contre la vie chère, un nouveau mouvement social nous oblige à revenir en urgence à la table de négociation pour les sujets tels que l’organisation et le coût des transports, la facture énergétique, l’approvisionnement en eau de tous les foyers, les difficultés de pouvoir se loger et l’accès de plus en plus difficile aux soins ?
Ces problèmes qui attendent des solutions depuis trop longtemps imposent que les politiques martiniquais travaillent ensemble, au-delà des clivages partisans, tout en respectant leurs opinions idéologiques, comme savent le faire nos collègues Réunionnais dans bien des situations.
Ce que j’appelle, c’est une révolution de nos pratiques politiques pour répondre aux besoins les plus urgents de la population.
Vous semblez prôner une approche plus collaborative entre les acteurs politiques. Pensez-vous que cela soit réalisable ?
Nous n’avons pas le choix. Les Martiniquais attendant ce signal et cette voie est la seule pour retrouver leur confiance et du crédit à leurs yeux. Ce n’est pas une tâche facile, mais absolument nécessaire. Notre population attend de l’action et des résultats et ne se contente plus de discours et d’effets de manche. Maires, parlementaires, conseillers territoriaux et communautaires, acteurs économiques et tous ceux qui sont impliqués dans la gestion de notre Pays Martinique se doivent de travailler ensemble pour répondre en urgence les plus criantes et à la demande d’amélioration de la vie quotidienne des Martiniquais. La population nous observe, et si nous continuons à agir en décalage avec leurs attentes, nous perdrons définitivement toute crédibilité.
Pour conclure, quelle est votre vision pour l’avenir de la Martinique ?
Ma vision est simple : une Martinique plus autonome, économiquement forte et socialement solidaire. Nous devons redonner à notre île les moyens de se développer en s’appuyant sur ses ressources naturelles et sa richesse humaine pour assurer une meilleure qualité de vie à nos concitoyens. Cela passera par une refonte de notre modèle économique, une coopération politique renforcée et une pédagogie collective sur l’importance de consommer local et de penser durable. Il est temps que nous sachions dépasser les clivages non essentiels lorsque l’intérêt général de la Martinique et la vie quotidienne des Martiniquais sont en jeu. Si nous ne le faisons pas, la situation continuera de se dégrader, nous condamnerons notre île à la dépopulation et ce sera un échec collectif encore plus lourd à porter.
Propos recueillis par Laurianne Nomel
Votre arabophobie et vos changements incessants de pseudos pour pouvoir poster vos commentaires s Lire la suite
Je suis frappée par le peu d'enthousiasme que manifestent les media martiniquais (en général, si Lire la suite
Cette situation n'est absolument pas étonnante :au delà de cet exemple pris en France, il ne faut Lire la suite
En deux occasions, j'ai eu un sentiment ressemblant, mais heureusement de façon fugace. Lire la suite
..tu fais ce genre de confusion :même un mauvais élève de sixième ne confondrait pas Non-Blancs e Lire la suite