Le combat pour la langue créole n'a jamais relevé du seul juridique

   Alors que la décision de la Cour d'Appel de Bordeaux vient de tomber, décision confirmant celle du Préfet de la Martinique qui annulait la délibération de la CTM (Collectivité Territoriale de Martinique) visant à "co-officialiser" le créole et le français, il convient de bien faire comprendre que le combat pour la valorisation du créole ne relève pas d'abord du seul juridique.

   Il s'agit d'abord et avant tout d'un combat culturel, mais surtout d'un combat politique.

   D'un combat culturel commencé dans les années 80 du siècle dernier, il y a donc plus de 40 ans lorsque des linguistes, des écrivains, des artistes, des journalistes etc... commencèrent à se servir de notre langue de manière sérieuse et non de manière "doudouiste" comme c'était le cas jusque-là. A l'Université des Antilles et de la Guyane, Jean Bernabé et son groupe de recherches le GEREC (Groupe d'Etudes et de Recherches en Espace Créole) luttèrent pour créer une Licence de créole, puis un Master et enfin un doctorat, cela dans un environnement universitaire indifférent et parfois hostile. Des écrivains (Monchoachi, R. Confiant, Jid, Jala, T. Léotin, E. Pezo, S. Restog, D. Boukman, Joby Bernabé, G-H. Léotin etc...) s'emparèrent de la nouvelle graphie créée par le même Jean Bernabé pour produire des contes, des pièces de théâtre, des recueils de poésie et ds romans en créole. Un journal en créole qui publia 52 numéros en quatre ans d'existence, Grif An Tè, dont le directeur de publication était le sociologue Serde Domi, vit le jour. Ensuite, à la fin du 20è siècle, banderoles syndicales, pancartes et tee-shirts de partis politiques affichèrent le créole. Au tournant du nouveau siècle, les publicitaires se mirent de la partie et l'on vit surgir sur les bords de nos routes des panneaux 4/4 vantant des produits en créole, cela avec la nouvelle graphie. Bientôt suivis par certaines municipalités (Le François, Rivière-Pilote etc...) qui affichèrent les noms de leurs quartiers en bilingue. A Saint-Anne, sous la houlette du maire Garcvin Malsa, non seulement les prises de paroles se faisaient dans l'une ou l'autre langue lors des conseils municipaux mais les délibérations de ces derniers étaient elles aussi rédigées dans les deux langues. Enfin, tout récemment apparurent des sites-web partiellement ou entièrement en créole.

   Ce combat d'une quarantaine d'années fut d'abord culturel, mais il fut aussi politique.

   Un exemple : lorsque le GEREC se battit pour obtenir la création d'un CAPES de créole (concours de recrutement qui existait déjà pour le breton, le corse, le basque etc... depuis plus d'une vingtaine d'années), il ne put s'appuyer sur sa seule expertise universitaire. Il eut recours aux politiques martiniquais à qui il demanda des lettres de soutien de manière à donner au dossier davantage de poids. Seuls des élus (e) de gauche et indépendantistes réagirent positvement et au terme de cinq longues années de lutte, le CAPES de Créole fut enfin créé en 2000. Il existe même désormais une Agrégation de créole, voulue aussi par Jean Bernabé, qui fut créé en 2020 soit trois ans après le décès de ce dernier.

   Donc, la décision du Préfet de Martinique et celle de la Cour d'Appel de Bordeaux n'ont pas de quoi nous tétaniser ni nous paralyser. D'autre part, la cause du créole  n'est pas celle du seul PPM lequel s'est d'ailleurs très tardivement rallié à elle, son leader, Aimé Césaire, considérant que le créole est "la langue de l'immédiateté" et donc incapable d'exprimer des idées abstraites. La cause du créole relève de l'intérêt supérieur de la Martinique et donc les indépendantistes qui troussent le nez sur la co-officialisation aujourd'hui devraient se regarder dans une glace et se demander ce qu'ils ont fait, eux, quand ils étaient au pouvoir à l'ex-Conseil Régional, puis à la CTM. Quasiment rien ! 

   Au même titre que le combat pour la protection de notre environnement et de nos terres agricoles, pour les avancées vers l'autonomie à la fois alimentaire et énergétique, contre l'économie de comptoir et la domination d'une caste, contre le dépeuplement de notre pays etc..., le combat pour le créole est politique. 

   Aucune décision de justice ne saurait mettre un coup d'arrêt à un combat politique ! Donc, le combat continue...

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Commentaires récents

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    FARCEURS

    Albè

    24/11/2024 - 08:31

    Il faut être un sacré farceur pour faire croire aux Martiniquais qu'un deuxième Cuba est possible Lire la suite

  • Jean Crusol : "Première tentative d'un gang du narcotrafic de s'imposer dans le paysage politique et social de la Martinique"

    Albè , mon cher, peut-on mettre...

    Frédéric C.

    23/11/2024 - 23:38

    ...toute la "classe politique" (qui n’est d’ailleurs pas une "classe sociale") sur le même plan ? Lire la suite

  • Kréyolad 1052: Polo chanté

    Jid, sa vré! Sé lè on mizisiyen ka mò...

    Frédéric C.

    23/11/2024 - 20:10

    ...ou ka trouvé tout diks-li, òben yo ka viré enprimé tou sa i fè-a vitman présé! Lire la suite

  • "Local", "Traditionnel", "Typique", "D'Antan" "Territoire" et autres euphémismes

    Il y a pire que ça...

    Frédéric C.

    23/11/2024 - 15:38

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  • La religion chrétienne serait-elle une religion afro-caribéenne ?

    Avec des ritournelles de vie chère ...

    Veyative

    21/11/2024 - 05:55

    ce sera très drôle! Lire la suite