Journée mondiale du livre et du droit d'auteur

Raphaël Confiant

   C'était le 23 avril dernier et cette célébration est passée complètement inaperçue. Et pas seulement à cause du bruit et de la fureur du monde : guerres en Ukraine, à Gaza, au Congo, en Birmanie etc...

   Inaperçue parce que le livre-papier a retrouvé le statut qui a toujours été le sien depuis l'époque des papyrus : celui d'un objet confidentiel ou en tout cas réservé à une minorité de gens bizarres. Pourquoi bizarres ? Parce que se plonger dans un livre revient à se couper du monde extérieur et à "parler" en silence dans sa tête pendant un laps de temps tout aussi bizarre (parfois des heures). A imaginer des personnages de papier qui n'existeront donc que dans la tête du lecteur. A suivre une histoire ou un récit dont ce dernier anticipe forcément la suite (si à la page 3, le personnage Machin rencontre le personnage Machine et qu'ils sympathisent, sont jeunes et beaux, notre esprit imaginera, à l'insu de notre plein gré, qu'à la page 43, il se passera forcément quelque chose entre eux). 

   Lire peut être à la fois addictif et hypnotique. Lire silencieusement s'entend, conquête récente dans l'histoire de l'humanité car la lecture à haute voix fut longtemps la seule concevable. 

   Et puis, un petit miracle s'est produit : un âge d'or. Il n'a duré qu'à peine une cinquantaine d'années (deuxième moitié du 20è siècle) quand, dans les pays occidentaux et dans le bloc-soviétique, qui ne représentaient tous deux que le tiers de la population mondiale, la quasi-totalité de la population a été scolarisée et alphabétisée. Le reste du monde, lui, dit "Tiers-Monde" à l'époque, demeurait dans l'oralité. Ni le théâtre ni la radio ni le cinéma ni la télévision n'ont réussi à ébranler le trône du Roi Livre pendant ce demi-siècle. Et puis l'Internet est venu à la fin du 20è siècle ou plus exactement s'est répandu au sein de tous les foyers occidentaux et soviétiques. Les réseaux sociaux ont déferlé. Le temps de la lecture/écriture brève était arrivé : "5mn de lecture" nous préviennent les journaux en ligne ; 280 caractères pas un de plus nous admoneste Twitter devenu X etc...

   La lecture brève et le livre ne font pas bon ménage. 

   Sinon dans le Tiers-monde, devenu "Pays en voie de développement" et désormais "le Sud global", les populations sont passées directement de l'analphabétisme à l'électronisme. De la parole au message vocal et à la vidéo. Sans faire l'expérience de la phase "Livre". Dès lors, Occident, ex-Pays communistes et Sud global se sont retrouvés sur un plan d'égalité, l'âge d'or du livre étant passé dans les deux premières entités. Pourquoi s'en alarmer comme c'est le cas de toutes celles et tous ceux qui parlent de "la fin du livre", "la mort de la lecture" et qui déploient des efforts pathétiques pour inciter les jeunes à ouvrir un livre dès leur plus tendre enfance. Tout cela est fort louable mais revient à oublier que depuis toujours ou depuis l'invention de l'imprimerie si l'on préfère, le livre a toujours été un objet confidentiel. L'âge d'or (1950-2000) qu'il a connu ne fut qu'une brève parenthèse, certes enchantée. 

   Est-ce que dire cela revient à faire preuve d'élitisme ? A vouloir réserver le livre à une petite minorité ? Point du tout ! C'est tout simplement s'en tenir aux faits, admettre une réalité car si la lecture était quelque chose de naturel pourquoi les "millenials", cette jeunesse née avec Internet, ne s'est-elle pas précipitée sur l'e-book ou livre électronique ? Fini le papier, vive Kindle ! Sauf que cela ne s'est pas du tout produit. Aucun jeune d'aujourd'hui ne lira les 200 ou 300 pages d'un roman de Tolstoï, d'un essai de Bourdieu ou Glissant, sur un écran ! Il était donc normal que le 23 avril, "Journée mondiale du livre et du droit d'auteur" passât inaperçue. Rien de dramatique à non plus. Et s'agissant des droits d'auteur, les écrivains n'ont pu vivre de leur plume que pendant les cinquantaine d'années d'âge d'or de la deuxième moitié du 20è siècle. Et encore, pas tous ! La plupart étaient contraints d'avoir un vrai métier pour vivre. 

   Si quelqu'un veut s'enrichir, il n'a qu'à faire footballeur ou rappeur ! 

   Comment la plupart des écrivains se débrouillaient-ils pour vivre avant l'âge d'or ? Ils étaient souvent attachés à un cour royale qui les finançaient. Plus tard, en Union Soviétique, on fit pareil : ce n'était plus le tsar qui entretenait (grassement) ses écrivains préférés mais l'Etat communiste qui payait (modestement) un salaire à tout écrivain dont les livres parvenaient à toucher un large public. Le même salaire pour tous, salaire du même niveau que celui d'un professeur de collège. C'était et c'est encore le meilleur système même s'il est irréaliste d'imaginer qu'il puisse être repris ou remis en vigueur, le capitalisme ayant vaincu le communisme ou plus exactement ce dernier s'étant transformé en capitalisme d'Etat. 

   Non, le livre ne mourra pas. Il survivra et demeurera ce qu'il a toujours été à savoir un objet confidentiel...

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